CARREFOUR MEDIA 45 | LITTÉRATURE

Pour petits et grands à la Fondation Martin Bodmer: Exposition «Géants et Nains»

Interview de Nicolas Ducimetière, vice-directeur de la Fondation Martin Bodmer et commissaire de l’exposition

Nicolas Ducimetière, pourquoi faire une telle exposition ?

Cette nouvelle exposition souhaitait faire la part belle à des ouvrages jamais sortis des réserves en raison de leur format « encombrant », peu propice à un emploi dans une exposition classique. Les « géants » sont ainsi souvent des « laissés pour compte », même dans les réserves, où leur gabarit les renvoie loin des rayons standard. Leur aspect impressionnant n’est donc souvent connu que des seuls conservateurs : l’envie était donc de les sortir des réserves et de les faire découvrir au grand public. Par ailleurs, en une époque où le livre est soit standardisé, soit numérique, il était intéressant de montrer que la matérialisation du livre a pu connaître tous les formats et poids.

Quel a été votre critère de sélection pour les « géants » ? La taille uniquement ? Si oui, à partir de quelle taille avez-vous considéré que c’est un géant ?

N’est pas « géant » qui veut ! Deux catégories de format peuvent prétendre à ce titre : les « in-folio » (environ 35 à 50 cm) et les « in-plano » (au-delà de 50 cm), noms venant du mode de pliure de la feuille de papier initiale (dont la grandeur peut bien entendu varier : dans l’absolu, on pourrait avoir un in-plano de quelques mm. de haut, si la feuille de départ était minuscule). Pour obtenir un in-folio, on plie la feuille en deux, pour obtenir un bi-feuillet, soit 4 pages imprimables. Pour l’in-plano, on conserve la feuille d’origine, telle que sortie du bac.
Quant au choix des exemplaires, il a été fait, au-delà de la taille, par les thématiques retenues pour l’exposition : théologie, littérature profane et de cour, voyages, sciences, etc.

Quelle est la taille du plus grand ? Celle du plus petit ?

Le plus petit ouvrage en possession de la Fondation ne mesure que 4.5 mm. Il s’agit d’une version polyglotte de la célèbre prière du « Notre-Père », décliné en sept langues et en deux tomes. Il pèse moins d’un gramme !
Le plus grand est sans conteste le livre de Carlo LASINIO, Pitture a fresco del Campo Santo da Pisa, (Florence, 1812), qui mesure 92 x 61 x 6.5 cm (in-plano « atlantico ») et pèse presque 30 kilos.

Quand ont-ils été imprimés ? Sont-ils tous des imprimés ?

En fait, les débuts de l’imprimerie ont été l’âge d’or des grandes tailles. Le format noble par exemple était l’in-folio et la plupart des éditions princeps (première matérialisation imprimée d’un texte antérieur à l’invention de l’imprimerie) des auteurs classiques antiques ou des Ecritures sont des ouvrages XXL. L’exposition présente toutefois également des manuscrits médiévaux qui fournirent d’ailleurs le modèle aux incunables. Nous présentons également des manuscrits de petite taille, adaptés à des pratiques personnelles de lecture (comme un petit recueil de prières du XVe siècle).

Quels sont leurs contenus ? Des textes ? Des gravures ?

L’ouvrage de grand format est souvent illustré, et c’est même l’illustration qui souvent commande le choix de cette taille. En effet, qu’il s’agisse d’ouvrages de voyage, de sciences naturelles ou de politique de prestige, les planches gravées sont un élément essentiel : plus elles sont grandes, plus le détail et la précision sont permis.
Les petits formats, à l’inverse, sont assez souvent purement textuels. La raison est simple : il s’agit de condenser une œuvre dans un volume réduit, en se contentant de l’essentiel ou d’imprimer de minces éditions clandestines destinées à échapper aux polices politiques ou aux douaniers !

Si on peut comprendre le gigantisme, quel est le but recherché en imprimant un livre de 4.5 mm ? Un livre n’est-il pas destiné à être lu, consulté, admiré ? Serait- ce l’exploit d’un imprimeur ?

Le nanisme a lui aussi ses catégories. On commence à parler de « petits livres » à partir du in-32, mesurant moins de 6 cm. de haut. Puis commencent les « nains », les « minuscules », les « microbes » (moins de 1.5 mm). Cicéron parle déjà d’un manuscrit de l’Iliade pouvant rentrer dans une noix ! Certains relèvent clairement de l’exercice de style, de la virtuosité technique. La fabrication de ces livres obéît à plusieurs motifs : démonstration de savoir-faire, jeu, souci de réaliser un joli « bibelot »/ »objet de curiosité », facilité de dissimulation pour des textes interdits ou censurés.