Journalistes, tous communicants!

L’annonce par le Centre de formation au journalisme et aux médias (CFJM) d’une filière de formation en communication confiée aux soins de l’ex-rédactrice en chef de Bilan, Myret Zaki, a provoqué maintes réactions, notamment sur les réseaux sociaux. S’étonnant que des journalistes prétendent former des communicants, le coprésident de la Société Romande de Relations Publiques (SRRP), Romain Pittet, s’est indigné des éléments de langage contenus dans le communiqué de presse du CFJM (18 mai) et, prenant sa meilleure plume, a écrit sur le site de la SRRP: « Le journalisme, ce n’est pas de la communication« . La formule, tranchée, a le mérite de faire mouche et de nourrir la polémique… qui ne date pas d’hier.

En 1999, alors directeur des relations publiques de l’agence Trimedia Communication & RP, je participais à un débat organisé par le Forum des journalistes économiques (Forjec) sur le thème: « Les frontières de l’information et de la communication ». Le journaliste Christian Campiche, alors président du Forjec, observait :

« Journalistes et PR se côtoient dans un ballet professionnel où il est toujours plus difficile de distinguer les partenaires. Révélatrice est la création prochaine par l’École Club Migros d’une école pour journalistes et PR à Saint-Gall. Une école dont la responsable déclarait récemment à un journal qu’il existait de moins en moins de différence entre les deux professions. À croire que les journalistes et PR pratiquent désormais le même métier. Les liaisons dangereuses, c’est donc une réflexion sur le rôle des protagonistes dans une société de l’information en mutation profonde. »

Ancien journaliste devenu communicant, je déclarais à mon tour :

« Les journalistes ont perdu le monopole de l’information. Aujourd’hui tout le monde communique. Le flux de l’information est énorme, il y a des nouveaux moyens de communication comme Internet. Le défi pour les professionnels de la communication est donc de trier cette information à l’intention des journalistes et de la rendre crédible. Il s’agit de faire en sorte que cette information “dirigée” soit intéressante pour le journaliste dans un paysage médiatique qui change”.

De toute évidence, en 2020, le thème des « liaisons dangereuses » reste d’actualité à l’ère des fake news et de la fragilité des médias historiques confrontés à la concurrence des réseaux sociaux. En cela, l’orientation éthique de la filière proposée par le CFJM est intéressante. Mais elle n’est pas très originale. Depuis des lustres, tout bon professionnel RP connaît les vertus de la théorie de la confiance par la transparence et l’existence de codes déontologiques rigoureux.

Chargé de cours à l’Université de Genève (cours « Stratégie de communication et Relations Publiques ») et responsable du programme du Brevet fédéral RP de l’École CREA, j’enseigne la distinction entre communication et information. J’affirme aussi, et ce n’est pas contradictoire, que tous les journalistes communiquent dès lors que leur métier consiste à trier et sélectionner l’information pertinente dans le flux communicationnel mais aussi à favoriser la formation de l’opinion publique.

La distinction tient bien sûr à la pratique individuelle et à l’existence de chartes éditoriales et d’entreprise. La multiplication des filières de formation en communication me paraît aujourd’hui révélatrice d’un phénomène plutôt inquiétant pour nos institutions démocratiques: la précarisation du métier de journaliste et la recherche d’une forme de « délestage » professionnel. Mais ce n’est pas non plus vraiment nouveau.

Philippe Amez-Droz
Vice-président