Plaidoyer pour le journalisme économique

Par Véronique Kämpfen, membre du comité

En l’an 2000, François Schaller, ancien rédacteur en chef de l’Agefi et de PME Magazine, disait, dans une interview au Temps: « Il y a un avenir pour des médias économiques en Suisse romande, parce que cette région concentre une densité exceptionnelle d’activités industrielles et de services très divers, de haut niveau. » Vingt ans plus tard, ce point de vue reste pertinent sur le fond, mais il pose la question de la création et de la qualité de contenus à composante économique. Y a-t- suffisamment de professionnels pour traiter de ces contenus spécialisés et comment sont-ils formés?

Au niveau de la formation en Suisse romande, il n’y a pas de quoi pavoiser. Aucun cours de journalisme économique n’est donné au Centre de formation au journalisme et aux médias ni dans le cursus du master en journalisme de l’Université de Neuchâtel.  En France, l’Ecole supérieure de journalisme propose des cours en journalisme sportif, féminin, mode, art de vivre ou encore culture, mais pas en économie. A noter cependant que le lancement d’un tel cursus avait été annoncé pour début 2021, resté sans suite à ce jour.

Le journalisme économique,
parent pauvre de la formation des médias?

Ce constat fait, se pose la question de savoir si cette absence de formation en journalisme économique est grave. Pas forcément, s’il y a suffisamment de spécialistes en économie qui travaillent en tant que journalistes. Dans ce cas, leur formation de base est l’économie et non le journalisme, ce qui en fait des experts dans leur domaine. S’ils viennent à manquer, alors une formation de journalistes au secteur de l’économie sera-t-elle suffisante et peut-elle s’acquérir dans une haute école ou en formation continue? Il convient ainsi de distinguer « journalistes économique » et « journalistes traitant de l’économie ».

Jean-Marie Charon, sociologue français et spécialiste des médias a un avis clair sur ce point, exprimé lors d’une conférence en 2010, qui semble toujours d’actualité: « Ce qui prédomine en France, c’est le modèle du journaliste généraliste traitant de l’économie, qui a suivi, au mieux, quelques cours d’économie générale dans un institut d’études politiques ou une école de journalisme. Aussi, les journalistes économiques dont la formation initiale est l’économie restent-ils rares en France […] La fragilité de la formation technique des journalistes affecte la qualité de l’information délivrée au point que, ce qui prédomine aujourd’hui, c’est plus de la communication économique que du journalisme économique ». Le risque est que les journalistes non spécialistes n’aient pas les armes pour aborder d’un œil critique les chiffres et les communiqués présentés notamment par des entreprises et ne fassent rien d’autre qu’un peu de réécriture des informations ainsi obtenues.

Pourtant, l’économie est un sujet intéressant à traiter, ce d’autant plus qu’il se présente sous des aspects divers: économie de proximité, avec une connaissance approfondie des structures entrepreneuriales d’une région, macroéconomie, qui permet d’aborder des questions de politique internationale ou encore aspects financiers, qui forment une branche spécifique comme, également, les questions de sécurité sociale ou d’assurance. Cette thématique comprend aussi des aspects humains à ne pas négliger, du fait de la rencontre avec de nombreux entrepreneurs et des métiers souvent inédits.

Les rédactions auront toujours besoin de spécialistes, donc d’économistes qui se sont reconvertis dans le journalisme. En revanche, elles ont aussi besoin de généralistes, capables d’appréhender une grande variété de sujets, avec des connaissances de base suffisamment développées pour permettre l’émergence d’un véritable esprit critique. C’est à ce titre que des cursus proposant des thèmes économiques aux futurs journalistes restent nécessaires et doivent être davantage développés. Pour pouvoir traiter d’un sujet, il faut a minima en saisir les rouages fondamentaux. C’est sur cette base que pourra se construire une expertise au long d’une carrière.

V.K.

Jean-Marie Charon